Il est toujours difficile de faire de la prospective sans tomber dans le fantasme ni regretter le bon vieux temps … Il suffit de se reporter à un article sur la manière dont on imaginait le Web de 2010… en l’an 2000 pour s’en convaincre.
Et je fais mienne la citation de Bruno Devauchelle « De plus les adultes que nous sommes ont laissé à nos enfants un terrain de jeu formidable et nous leur reprocherions de s’en emparer. Que n’étions-nous pas contents de ces interfaces souris graphique au début des années 80 avec les premiers Macintosh ! Que n’étions-nous pas heureux d’en finir avec les lignes de commande de MS-DOS ! Que ne sommes-nous pas béats de voir nos tout petits accéder à ce monde numérique avant même que de savoir lire et y posons même l’hypothèse d’une nouvelle attention et motivation pour l’apprentissage. »
Je vais tenter d’explorer l’avenir dans cet article. J’ai un atout en main, je suis déjà confronté à cette génération Z. Mes enfants, aujourd’hui âgés respectivement de 10 ans et demi et 13 ans, sont de la génération Z. Je peux déjà observer leur comportement et l’extrapoler dans l’avenir (quelques lectures m’y ont aidé également, soyons honnêtes).
La génération Z
En préambule, il est bon de rappeler comment se situe la génération Z ! Cela semble évident que la génération Z suit logiquement, selon les concepts sociologiques, la génération Y (ceux qui sont nés entre 1978 et 1994, parfois plus connus sous les expressions de digital natives ou net génération), qui elle-même suivait la génération X (1959- 1975 qui pourrait correspondre à la génération 1968 !).
La génération Z (aussi appelée génération numérique) débute avec les jeunes nés depuis 1995, autrement dit les jeunes de 0 à 15 ans. Une remarque… Une génération dure désormais une quinzaine d’années ce qui tendrait à dire que nous sommes au terme de cette génération Z ! Et donc, pour l’instant, la génération Z est la dernière qui sera à la tête du monde en quelques décennies.
Ces jeunes et très jeunes enfants représentent près de 18 % de la population mondiale et ont comme caractéristique d’avoir accès à presque tous les outils de communication : internet, téléphones, lecteurs MP3, iPods, Ipad… Ils vivront dans l’ère du nomadisme.
Ils auront toujours connu ce que nous appelons les TIC ou NTIC : les nouvelles technologies de l’information et de la communication, surtout le web 2.0 et les outils de partage et de collaboration. Ceci leur vaut d’ailleurs en grande partie le surnom de génération C (pour Communication, Collaboration, Connexion et Créativité). On les qualifie également de génération Y’, AA ou Emos (pour émotionnels).
Il est difficile pour l’instant de juger de leur future culture, toutefois, en s’appuyant sur la théorie américaine des générations où la génération Z est comparé à la génération silencieuse originelle (ceux qui sont nés entre 1925 à 1945), il serait possible de discerner des tendances.
Cette génération a grandi dans un monde aux évolutions extrêmement rapides. Ils n’ont pas le temps de digérer les évolutions en cours que déjà une nouvelle culture apparaît.
Il y a fort à parier que ce sont eux qui vivront le mode de travail décrit par Christophe Deschamps dans son livre : le nouveau management de l’information. Ils seront de plain-pied dans la nouvelle organisation du travail où chacun sera associé plutôt qu’employé, professionnel et non travailleur…
D’ailleurs, fait troublant, les psychologues ont remarqué un changement de comportement radical de la génération Y à la génération de Z. la génération Z ne croit pas à la carrière et aux études traditionnelles.
Une nouvelle notion de pouvoir apparaîtra où ceux qui sauront analyser et maîtriser l’infobésité et la surcharge informationnelle seront les rois. Car, en effet, l’ordinateur et Internet ne seront plus considérés comme des outils mais comme un média.
Déjà, on en voit les prémices… Ils utilisent le Web pour communiquer et maintenir le contact (principalement à l’aide de communautés en ligne à l’image de celle que nous connaissons dans les réseaux sociaux) et détournent les outils au service de leurs besoins. Les membres de la génération Z sont dès aujourd’hui des hyper connectés. Gérer contacts virtuels et alimenter leurs réseaux font déjà partie de leur vie courante.
Autre aspect de leur utilisation, ils jouent collaborativement. La phase de jeu en ligne est un incontournable et d’un jeu à l’autre, ils s’immergeront dans des mondes virtuels.
Fait marquant également, leur volonté (inculquée par nous ?) de grandir plus vite, dans le sens d’arriver rapidement à l’âge d’adulte (même si ils s’accrochent à leur adolescence plus longtemps) et leur créativité ! Leur côté écolo ne sera pas à négliger dans l’appréciation de leurs usages des technologies de communication et d’information dont ils seront très certainement dépendants. Une grande partie de leur vie se fera dans des mondes virtuels.
Cela n’enlèvera rien à leur vie sociale très riche (trop diront certains). Nous leur avons inculqué dès leur plus tendre enfance l’importance d’un lien social fort. Il est courant de voir des anniversaires organisés avec une ribambelle de gamins dès 4 ou 5 ans !
Mais, justement cette connaissance de la vie sociale leur évitera sur le net l’effet de collectionnite dans les divers réseaux. La génération Z fonctionne en qualité des contacts et non en quantité de contacts comme ses prédécesseurs. De même aucune distinction ne sera mise en place entre contact réel ou contact virtuel. Ils auront parfaitement pris la mesure de l’existence des réseaux de liens forts (qu’on pourrait comparaître aux vrais amis actuels) par rapport aux liens faibles (les relations utiles).
Si la génération Y a tendance à partager assez facilement sa vie privée, y compris avec des inconnus, la génération Z sera plus » réservée « . Elle a appris de ses aînés à être présente naturellement, y compris avec l’analyse des dérives (commentaires…). On pourrait dire sur ce sujet que la génération Y regroupe les explorateurs et la génération Z, les utilisateurs.
Et, le partage de la vie privée dans la génération Z est réservé à un nombre très restreint d’invités. La vie privée se partage en toute transparence avec ses liens forts, mais c’est le secret absolu en dehors de ces privilégiés, avec les liens faibles.
Cela n’empêchera pas que le sentiment de possession disparaîtra au profit de l’usage… Les notions de fidélité et d’engagement telles que nous les connaissons devraient prendre un coup dans l’aile.
Égocentrique, ils le seront certainement, en tout cas ce qui les intéressera par-dessus tout, ce sera leur propre vie, avec une sensibilité à fleur de peau, notamment contre les injustices !
En corollaire, leur notion d’espace de liberté est bouleversée, comme celle de leur intimité et donc leur vie privée.
La vie privée
Attention, lorsque l’on évoque la vie privée, de ne pas focaliser sur la notion juridique assimilable aux données personnelles. Cependant, et pour cause, même le Code Civil ou le Code Pénal ne donnent pas une définition précise de la vie privée.
Cet aspect du vocable de la protection de la vie privée dans ce sens correspond à un contrôle sur nos renseignements personnels (systèmes de surveillance et collecte de données personnelles).
Mais la notion de vie privée est aussi et avant tout une question philosophique : l’étude de la sphère de l’intimité de chacun. D’ailleurs, une recherche sur le net vous assurera de cette situation vu le nombre de devoirs de philosophie ayant comme sujet : la vie privée vs vie publique ou encore le dossier de Philosophie mag, dans son numéro 19 : Vie publique, vie privée : où sont les limites ?
Mais, les débats acharnés actuellement sur la vie privée sur Internet naissent aussi d’un paramètre géographique. La vie privée est ce qui se déroule dans le domicile privé et par opposition, la vie publique est synonyme de vie en public. Internet fait-il parti de son «domicile» ou est-il public ?
Cette géographie de la toile mérite réflexion, car elle est à la fois privée et publique ! Cela dépasse la segmentation entre la vie professionnelle et la vie publique auxquelles on oppose souvent la vie privée.
La vie privée est au coeur des libertés individuelles où chacun définie ses limites d’ordre strictement personnel. Dans ce monde de confidences, où le public n’est généralement pas admis, l’intimité est de règle (à moins de les dévoiler et donc de les rendre publiques).
La seule exception admise à la violation de la vie privée, c’est lorsqu’elle provient du pouvoir (reste à mesurer l’abus de pouvoir) pour des raisons majeures (terrorisme, affaires d’état ou simple loi comme celle de la voie publique). Elle reste discutable dans les autres circonstances. La dénonciation à la police de pédophiles par le journaliste de l’émission : les infiltrés pose débat. Nous sommes dans le domaine de la vie privée ! Le plupart du temps, c’est en fonction de ce qui est public que l’on définit la vie privée. Tentons une approche différente.
Si la vie privée ne concerne pas les autres… reste à chacun à définir ses propres limites (ce que je protège), ce qui est notre intimité, ce qui ne concerne pas les autres (et quels autres), ce qui doit se faire sans témoins ou en nombre très limité…
D’ailleurs, selon les domaines de la vie privée abordés, ce ne sont pas les mêmes proches qui sont concernés.
Les aspects de la vie privée sur Internet ressemblent beaucoup aux principales composantes de la vie privée : vie familiale, vie sentimentale, loisirs, santé, moeurs, convictions philosophiques et religieuses, droit à l’image…
En étudiant la vie privée, l’intime à la part belle. L’intime ne s’adresse qu’aux confidents et aux proches plus ou moins étroitement unis par des liens d’amitié, d’amour… selon les moeurs adoptés par les uns ou les autres.
Or, des brèches sont ouvertes depuis plusieurs années dans le domaine de l’intimité. L’apparition des notes journalières sur des événements personnels, des émotions, des sentiments et des réflexions intimes : les blogs ouvraient la boîte de Pandore.
Avant les blogs, on n’envisageait pas la publication des journaux intimes.
À leur naissance, nous étions tous fascinés et enchantés par ces blogs… Pourtant, l’intimité de l’individu et donc sa vie privée s’ouvrait au nudisme social.
L’anonymat et les pseudos sont des facteurs qui ont favorisé cette éclosion des blogs. L’impossibilité (pour d’autres utilisateurs) de déterminer la véritable identité d’une personne ou supposée comme telle (Sommes-nous vraiment anonymes ?) permettait d’avoir l’impression de garantir sa vie privée.
Depuis, les questions d’identité numérique sont à l’honneur y compris désormais la vie privée. Au cours des dernières semaines de nombreuses publications ont traité de la question de la protection de la vie privée sur Internet. Le meilleur exemple sont certainement les deux articles de Jean-Marc Manach : Le point de vue des petits cons qui faisait suite à La vie privée, un problème de vieux cons ?
Alors, oui une évolution des moeurs est en cours et il est vrai, même si le discours déplait, que Zuckerberg, le fondateur de Facebook, a raison lorsqu’il sous-entend que les générations les plus jeunes n’ont pas la même conception de la vie privée que leurs aînés.
La plupart des jeunes nés avec Internet ont en effet moins de complexes à diffuser des éléments de vie privée que leurs aînés sur le réseau. C’est autour de la sexualité que le conflit de génération est le plus évident et mis en exergue par le sexting.
Au passage, le sexe n’est-il pas désormais banalisé comme un loisir ? (sujet du livre : Sex@mour écrit par le sociologue Jean-Claude Kaufmann qui paraît en ce moment).
Auparavant, la vie privée était régulée par la morale sociale. Aujourd’hui et demain encore plus, elle l’est et le sera par une éthique personnelle de l’individu.
Notre sacro-sainte vie privée va se réduire comme peau de chagrin. Toutefois, la barrière de la transparence totale de l’individu ne sera pas franchie. L’ambiguïté de la présence sur la toile et du personal branding ne créera plus de paranoïa dans l’avenir. Au contraire, la grande majorité de la génération Z maîtrisera bien mieux qu’on ne l’imagine en général sa vie privée sur la toile. Ils corrigeront les défauts que nous avons !
La génération Z aura appris à en jouer et à s’en servir pour se mettre en avant avec franchise, honnêteté. Assumer ses paroles et ses actes seront leurs maîtres mots. Ils assumeront parfaitement la protection de leurs vies privées, le droit au secret… tout en gérant le droit d’être vu et exposé sur la toile.
L’abandon de toute pudeur de la part d’anonymes croyant se hisser ainsi à la hauteur des people sera superflu. La génération Z a compris que ce n’est pas la vie privée qui fait les grands hommes. Après tout, Einstein n’est pas connu pour ce qu’il a dit et fait dans le privé ! Et les Dupont et les Dupond ont une vie privée ordinaire, tout comme Einstein.
Chaque évolution (révolution) a apporté son lot de changement… Les jeunes des années 60-70 ont fait la révolution sexuelle. La génération Z fera celle de la vie privée. J’ai expliqué par ailleurs que cette révolution, qui se déroule sous nos yeux de façon sous-jacente, est liée à l’arrivée de l’ordinateur et amplifiée avec le succès d’internet.
Nudisme social ? pourquoi pas. Mais, nos parents ou nos grands-parents n’employaient-ils pas le même type d’expression vis-à-vis du MLF, des libertés engendrées autour de 68 ? Est ce bien, est ce mal ? Quelques décennies plus tard, nous sommes tous d’accord pour dire que cette période chère à la génération X a fait avancer les moeurs dans la société.
Cette transparence d’un nouveau genre, proposée par la génération Z, fera date à n’en pas douter dans le futur et l’on soulignera alors certainement les bienfaits.
Si l’on pèse le poids des gains et avantages comparés à celui des inconvénients et des contraintes, pourquoi le fléau ne pencherait-il pas du côté des choix de la génération Z ? La forme d’individualisme à laquelle nous sommes confrontés et qui a donné naissance à l’intimité ne serait-elle pas en train d’exploser avec cette génération Z ?
Et puis, nous, générations âgées, ne sommes-nous pas des voyeurs, des indiscrets qui regardent par le trou de la serrure, des curieux par nature ? Nous voulons savoir ce que fait l’autre, qui il est.
Nous cherchons à percer le mystère de la vie privée des autres. Pourquoi ? Pour voir qu’il y a plus heureux ou malheureux que nous ? Pour les effets de miroir ? C’est un peu comme si la connaissance de la vie privée de l’autre faisait partie d’un besoin de pouvoir.
Parfois, on peut se demander si les réactions des «vieux» ne sont pas empreintes de la jalousie ou de quelque chose de l’ordre du fantasme s’ils avaient eux-mêmes possédé de tels moyens de communication ? Cela sera beaucoup plus «naturel » pour la génération Z aussi bien avec leurs liens forts (la garde rapprochée des «zédiens») qu’avec leurs liens faibles.
Si l’on considère que la vie privée est ce que l’on choisit de ne pas porter à la connaissance des autres et que l’intime correspond à la pudeur, que l’on décide de montrer ou pas, il y a fort à parier que la génération Z étalera sa vie privée, mais avec une grande pudeur.
Le no men’s land entre le privé et le public est la tolérance. Reste à être raisonnable tout en sachant que l’interdit social sera beaucoup plus permissif qu’il ne l’est actuellement. Et si Soljenitsyne fournissait les anciens repères : « Notre liberté se bâtit sur ce qu’autrui ignore de nos existences», qui nous donnera ceux de demain, ceux de la génération Z ?
Ce texte avait été publié en 2010 pour le blog du modérateur, plus exactement pour le Livre blanc Régions job sur l’identité numérique de l’époque.
Ce texte est toujours d’actualité comme son homologue publié dans les mêmes conditions : géolocalisation et identité numérique.